« L’intérêt organisationnel du coaching individuel. »

VIE & SCIENCES ECONOMIQUES

Décembre 2009 Numéro 182

INTERET ORGANISATIONNEL DU COACHING INDIVIDUEL

PAR PAULINE FATIEN

Maître de Conférences,

IAE de Lyon/University of Lyon Management School

Articles pages 39 à 56

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INTERET ORGANISATIONNEL DU COACHING INDIVIDUEL

PAR PAULINE FATIEN

Maître de Conférences,

IAE de Lyon/University of Lyon Management School

Dans une démarche exploratoire, ce travail propose une compréhension de

l’intérêt porté au coaching individuel en entreprise aujourd’hui. Il repose sur trois

études : une analyse de l’offre marchande du coaching, deux études de cas où le

coaching est tantôt mis en place (dans un cabinet de conseil pour ses associés),

tantôt envisagé (sur un site industriel pour ses managers). A partir de nos

analyses, nous défendons la thèse suivante : l’intérêt pour le coaching serait lié à

sa malléabilité qui permet de maintenir une certaine ambiguïté sur les raisons de

sa mobilisation par différents acteurs du dispositif coaching, pour répondre aux

règles du « jeu » organisationnel, reposant sur la mobilisation du « je ». Cette

malléabilité place la pratique en tension entre différents pôles, ouvrant des

espaces de pouvoir dans les organisations. Des grilles de lecture, implications

managériales du travail de thèse, sont présentées pour mettre en avant les

différents intérêts à la mise en place du coaching, impliquant une variété de rôles

joués par le coach dans les organisations.

INTRODUCTION :

COMPRENDRE LINTERET PORTE AU COACHING, PRATIQUE EN TENSION

Du coaching pour améliorer ses relations amoureuses, amicales, professionnelles,

mais aussi pour être plus en accord avec son intérieur, celui de sa maison, et son

extérieur, celui de son physique … Le coaching est aujourd’hui « partout »

(Brugalières, 2005), son usage extensif recouvrant pourtant des formes

d’accompagnement très variées. Pourtant, derrière cet emploi fédérateur, il semble

possible d’entendre l’appel à un besoin de prise en charge de la personne

aujourd’hui (Boutinet, Denoyel, Pineau et Robin, 2007), et un accord sur sa

nature : individuelle et marchande. Le coaching se pose alors à la fois comme

« symptôme » de difficultés et « symbole » de manières de les appréhender, pour

reprendre une expression de Boutinet (2004).

Cette solution fait aujourd’hui débat. Pour ses adeptes, le coaching apparaît

comme une opportunité pour soutenir les managers face à un contexte

organisationnel inédit (complexité, incertitude), signant l’obsolescence de

méthodes plus traditionnelles (Albert et Emery, 1999). Ceux qui interrogent la

pratique se penchent sur le professionnalisme des coachs et leur rôle dans les

organisations. Parmi les coachs « critiques », Fourès (2004) décrit les « dérapages,

abus, déboires » du coaching conduisant à des « dégâts », Williams (2003) parle

des « périls », Berglas (2002) des « vrais dangers » du coaching alors que

Desgraupes et Morin (2007) lui reconnaissent des « faces cachées ». Les

universitaires se penchent eux sur les « limites » (Persson-Gehin, 2005) d’une

pratique, en « tension » permanente quand elle tente de résoudre des

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« paradoxes » organisationnels (Roussillon, 2002), ne pouvant s’abstraire

d’« effets pervers qui guettent la pratique » (Amado, 2002). Le recours

organisationnel au souci de soi foucaldien peut être vu comme le support des

nouvelles ascèses de la performance (Pezet, 2007), véhiculant en entreprise un

pouvoir « pastoral » de direction de conscience (Brunel, 2004). Radicaux, Gori et

Le Coz (2006) sont sans concession vis-à-vis de ce qu’ils considèrent être un

nouvel outil de contrôle social. Ces positionnements tranchés ne peuvent

qu’interroger une pratique qui semble se définir par la négative (Dufau et

Perdriset, 2005).

Dans ce paysage contrasté quant au rôle organisationnel du coaching, cette thèse

a eu pour projet de comprendre l’intérêt a priori grandissant (Syntec, 2001; 2004)

qui lui est porté aujourd’hui, malgré des mises en garde de plus en plus

médiatisées.

Ce travail s’inscrit dans une démarche « compréhensive » pour « saisir le sens »

que les acteurs (coaché, coach, prescripteur, manager) expriment pour le

coaching. Pour appréhender sa complexité, des théories complémentaires sont

mobilisées : principalement la psychosociologie des organisations (Amado, 2002),

la psychologie du travail (Clot, 1999; Lhuilier, 2006), la sociologie de l’acteur

(Crozier et Friedberg, 1977) et la Théorie Néo-institutionelle (DiMaggio et Powell,

1983). Trois études composent la recherche. La première repose sur l’analyse de

l’offre marchande du coaching saisie au travers de deux supports : 44 sites

Internet de coachs sélectionnés en 2008 parmi les 187 référencés dans l’annuaire

de la première association de coach (SF Coach) et 53 définitions1 du coaching

parues dans la littérature managériale entre 1992 et 2002, référencées par Sybil

Persson-Gehin (2005). Ce corpus a été analysé à l’aide du logiciel NVivo selon

une analyse de contenu thématique (Bardin, 1977) pour mettre en avant les

bénéfices professés du coaching et la manière dont les coachs proposaient de les

atteindre. Deux études de cas sur l’intérêt porté au coaching ont été réalisées,

dans des secteurs où le coaching semble le plus représenté (Syntec, 2001; 2004):

les services et l’industrie. Une étude a donc été conduite dans le bureau parisien

d’un cabinet de conseil international où 7 associés ont choisi de faire du coaching.

Une autre a été réalisée sur l’un des sites industriels d’une entreprise

internationale su secteur de la métallurgie dont la direction nous a sollicitée sous

forme de contrat de recherche d’un an pour réfléchir à la pertinence de sa mise en

place pour les cadres managers.

Cette synthèse met en avant (1) les deux propositions de thèse tirées de la

littérature confrontées aux trois terrains et (partie 1 – Le coaching, une réponse

« malléable » au règles du « je(u) »), (2) les implications managériales sous forme

de grille de lecture qui orientent les parties prenantes au coaching sur le rôle joué

par la pratique et l’intérêt qui lui est porté (partie 2 – Implications managériales : les

tensions du dispositif de coaching). La thèse est défendue que le coaching est une

pratique malléable du fait des ambiguïtés qu’elle véhicule. L’intérêt qui lui est porté

serait associé à cette propriété malléable permettant à chacun de répondre à sa

manière aux nouvelles règles du jeu organisationnel.

1 27 définitions sont issues d’ouvrages sur le coaching, 13 de témoignages ou plaquettes de praticiens,

6 de la presse professionnelle, 4 de la littérature managériale, 3 de la littérature académique

41

  1. LE COACHING, UNE REPONSE « MALLEABLE » AUX REGLES DU « JE(U) »

1.1. LE COACHING : UNE REPONSE SOUS FORME DE PRISE EN CHARGE

INDIVIDUELLE MARCHANDE A L’EVAPORATION DES REFERENCES COLLECTIVES

L’intérêt pour le coaching semble lié à un contexte organisationnel, et plus

largement sociétal, d’évaporation des référents, majoritairement collectifs et

institutionnels (famille, école, religion, chef) qui traditionnellement offraient des

ancrages pour se développer personnellement et agir professionnellement. Face à

la mutation anthropologique de ce que signifie « être une personne aujourd’hui »

(Kaufman, 2005), les individus, confrontés à une « société du risque » dans

lesquels ils ne peuvent plus prévoir leur destin (Beck, 2001), sont sommés de

puiser dans leur propres ressources au travers d’un « travail sur eux-mêmes »

(Macquet et Vrancken, 2006) pour répondre à l’incertitude devenue norme

(Palmade, 2003). La disparition de l’entreprise communautaire (Alexandre, 2003),

signifiant un collectif de plus en plus « contourné » (Amado, 2004), conduit à une

mobilisation de plus en plus individuelle voire psychique (Aubert, 1994) pour puiser

en soi les réponses aux défis d’un environnement incertain et mouvant.

Dans ce cadre de déclin des institutions et collectifs de référence, le coaching en

entreprise semble offrir à l’individu incertain (Ehrenberg, 1995) un espace pour

affronter le jeu organisationnel qui le mobilise de plus en plus individuellement

mais aussi psychiquement.

D’où la première proposition que nous avons formulée :

1- L’intérêt pour le coaching est lié à la présentation d’un environnement

empreint de nouvelles règles du « je » marquées par une évaporation des

références collectives (sociales et organisationnelles) face auxquelles le

coaching apparaît comme une réponse sous forme de prise en charge

individuelle marchande de soi dans l’entreprise.

Les trois études ont permis de confirmer cette proposition et de mettre l’accent sur

le positionnement du coaching comme une « réponse », ce terme ne ressortant

pas de manière si explicite dans la revue de littérature. Ce terme semble révélateur

d’un contexte où le « modèle de la poubelle » proposé par Cohen, March, Olsen

(1972) s’applique particulièrement bien : ainsi solutions et problèmes cohabitent,

chacun allant se « coupler » sans lien évident. Mais dans un contexte où certaines

difficultés organisationnelles sont facilement interprétées sous le prisme individuel

voire psychologique, le coaching tend à apparaître comme légitime et pertinent.

L’offre marchande positionne le coaching comme réponse adaptée, en raison

d’une triple adaptation : adaptation du coaching au contexte, pour faciliter

l’adaptation du coaché, grâce à l’adaptation du coach aux problématiques

spécifiques du client. Le discours du coaching semble se faire le relais de la

description d’un environnement prescriptif, opaque et isolant qui appelle un

ajustement comportemental via la mobilisation de ressources personnelles. On voit

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que la mobilisation subjective est totalement relayée dans l’offre marchande. Le

coach, en tiers extérieur, apparaît comme celui qui va éclairer le client et le

contexte ; Cette association du coach à une lumière ou un projecteur, soulève la

question d’éventuels pouvoirs magiques dont le coach serait doté quand il est

capable de regarder les personnes différemment et de les aider à révéler leur

véritable nature et à y voir clair dans leurs désirs.

Un environnement non seulement exigeant mais aussi menaçant a pu être mis en

valeur dans les deux études de cas.

Dans le cabinet de conseil, le coaching est perçu comme un support alternatif aux

dispositifs existants qui ont montré leurs limites pour accompagner les enjeux

spécifiques des associés : la gestion des interactions avec les équipes, la stratégie

individuelle à adopter pour poursuivre sa carrière, le sens à donner au travail etc.

Le coach va apparaître comme un partenaire pour optimiser sa propre « partie »

via la compréhension des règles d’un jeu très prescriptif et individualisant. Dans un

système appuyé sur une culture organisationnelle d’excellence et de performance

qui impose une progression permanente, sanctionnée par les pairs (notamment via

le 360°), le « savoir-paraître » est une compétence qui semble clé pour y évoluer.

Elle décrit la capacité des personnes à assurer leur promotion en interne et à

répondre aux codes de conduite attendus. La nécessité du développement de

cette compétence, liée à l’activité de service d’un cabinet, impliquant gestions de

soi et de ses relations avec autrui, est accentuée par le « défaut d’autorité

immédiate » dont pâtissent les consultants (Henry, 1997). Le coach doit alors

permettre de regagner une certaine maîtrise sur l’environnement interne et

extérieur en facilitant la compréhension du jeu à jouer2.

Dans le site industriel, l’intérêt pour le coaching provient essentiellement de la

direction qui s’interroge sur la pertinence de la pratique pour combler ce qu’elle

identifie à un défaut de compétences relationnelles des managers qui grèverait leur

accompagnement. Pourtant le diagnostic organisationnel réalisé auprès de

nombreux acteurs du site (55 entretiens avec des chefs de poste, d’atelier, de

service, le CHSCT, les syndicats, médecins du travail etc) met en valeur d’autres

facteurs explicatifs au non accompagnement de leurs collaborateurs par les

managers : surcharge d’activités, injonctions contradictoires, incohérence entre

évaluation formelle et incitations informelles… Ces difficultés semblent liées à un

changement de modèle organisationnel qui conduit à un déclin des référentiels

collectifs autrefois fournisseurs de repères : le site lui-même, qui jusqu’alors

possédait une certaine indépendance et faisait autorité vis-à-vis du marché; les

chefs, de moins en moins présents sur le terrain pour suivre l’action, effacés

derrière leurs écrans d’ordinateurs pour répondre aux exigences de reporting.

Notre analyse nous conduit donc à penser que la mise en place massive du

coaching ne constituerait pas forcément une réponse adéquate. En effet, elle

représenterait tout d’abord une « rupture » culturelle au regard des supports d’aide

au travail privilégiés par les collaborateurs, à savoir des ressources

organisationnelles puisées dans le collectif et le métier : échange avec les pairs à

l’intérieur et à l’extérieur du site, exemplarité des chefs, apprentissage sur le tas …

Ensuite, elle contribuerait davantage à contourner voire occulter la source

2 et conduisant même à interroger dans quelle mesure on est prêt à le jouer (ce qui

peut conduire à quitter le jeu, donc l’entreprise)

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organisationnelle des difficultés analysées qu’à les prendre en charge. Par la

négative, cette étude témoigne donc d’un lien entre intérêt pour le coaching et

mobilisation subjective : ici la mobilisation subjective n’est pas légitime et l’intérêt

pour le coaching peu manifeste chez les collaborateurs.

Face à ce contexte de dilution des repères et références collectives qui conduit à

de nouvelles règles du « jeu » organisationnelles, le coaching apparaît alors

comme une « réponse », professée (dans l’offre marchande), mise en place

(cabinet de conseil) ou envisagée (site industriel).

1.2. DANS L’OMBRE DU COACHING, UNE PLURALITE D’INTERETS

Nous venons de voir que le coaching se vend comme une réponse adaptée au

contexte actuel, rendant obsolètes des pratiques d’accompagnement individuelles

(mentoring, tutoring, conseil) ou collectives (formations, groupes de pairs). En effet,

si la formation est perçue comme offrant indistinctement des « menus

génériques 3 » (Tobias, 1996) sous forme d’ « événements » (Witherspoon et

White, 1996) isolés et collectifs, le groupe pouvant apparaître comme inhibant

(Amado, 2004), au coaching est attribué l’avantage de fournir une réponse « à la

carte » pour un accompagnement plus protégé et dans le temps. Relation

informelle avec une personne souvent plus expérimentée de son entreprise, le

mentorat établit davantage une relation avec ce que nous pouvons appeler un

« pair-père modèle » qu’avec un professionnel de l’accompagnement (Garvey,

2004). Le conseil apparaît, lui, plus axé sur des problématiques organisationnelles

qu’individuelles, sollicitant davantage l’avis d’un expert que l’oreille d’un partenaire

(Sperry, 1993). Pourtant, les frontières du coaching avec ses pratiques cousines

s’avèrent rapidement franchies et la pratique se définit par défaut, étant « un peu

de tout mais rien de tout ça » (Alexandre, 2006). Cette sous-spécification est

souvent interprétée dans la littérature comme une faiblesse du coaching, un

élément à corriger. Pourtant notre travail de thèse nous conduit à soumettre une

autre interprétation. Cette difficulté à spécifier le coaching peut expliquer une

partie de l’intérêt porté au coaching quand elle favorise une multiplicité

d’interprétations de la demande de coaching, à mettre en perspective avec le

dispositif de coaching reliant trois voire quatre acteurs : coach, coaché,

représentant des RH et/ou manager. Il semble en effet que le flou entourant le

coaching puisse permettre à chacun des acteurs de donner un sens particulier à sa

demande, tout en maintenant cachées, voire inconscientes, certaines de ses

dimensions.

En effet, le dispositif de coaching prend place dans un certain contexte, mêlant

plusieurs parties prenantes.

Le dispositif de coaching est « offert » à un collaborateur par son entreprise dans

le cadre du contrat de travail qui les lie. Même si dans les chartes de déontologie

des coachs, l’acceptation volontaire du coaching est un pré-requis, il peut en réalité

s’agir d’une « soumission consentie » (Beauvois et Joule, 1987), dans la mesure

où le contrat de travail expose les deux parties à des droits et des devoirs. Le

collaborateur peut en effet difficilement refuser un contrat qui lui est « suggéré »

tant ce refus est sujet à interprétations. Une des interprétations que le coaché peut,

lui, faire, est que l’entreprise lui offre un outil pour se développer, manifestant en

3 Tobias (1996) parle de « one-size-fits-all » menus

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en cela l’activation du contrat psychologique (Rousseau, 1989). D’autre part, le

collaborateur peut se trouver flatté de cette sollicitude organisationnelle, le

coaching manifestant l’activation du contrat narcissique (Aulagnier, 1981) qui

relie la personne et l’organisation.

Entre le coach et le coaché existe un contrat relationnel plus ou moins fort selon

l’investissement de chacune des parties. Quand le coaché s’adresse à un expert,

à la recherche avant tout de techniques pour enrichir sa panoplie

comportementale, il donne plutôt une interprétation contractuelle à sa relation. En

revanche, s’il vient chercher un partenaire d’échanges pour une prise de distance

par rapport à son quotidien, il peut être plus sensible à la dimension du don dans la

relation (Fustier, 2000).

Ensuite, entre le coach et l’entreprise existe un contrat d’affaires, rendant plus

confus le statut de client. Pour qui le coach travaille-t-il ? le coaché, et/ou

l’entreprise, voire lui-même ?

Enfin, le coaching, comme prise en charge individuelle et marchande de soi, prend

sens par rapport à un contrat social renouvelé où dominent individualisation et

marchandisation du lien social.

Cette exploration des contrats unissant les parties prenantes du dispositif de

coaching permet de mettre en évidence la pluralité des interprétations des contrats

sous-tendant une multiplicité d’intérêts. De plus, au coeur du dispositif se logent

des contrats secrets, difficiles à mettre à jour car liés à la multiplicité des attentes

conscientes et inconscientes qui caractérisent les différents acteurs.

Figure 1 :

Pluralité de contrats unissant les parties prenantes du dispositif de

coaching

Ainsi la sous-spécification du coaching, loin de n’être que le signe de faiblesses

d’une pratique mal définie, peut être interprétée plus positivement comme facteur

d’ambiguïté, ouvrant les conditions à un jeu stratégique pour les différentes parties

prenantes. En particulier le coaché peut utiliser voire détourner l’outil d’une

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utilisation initialement conçue. Il aura alors fait un usage stratégique du coaching,

s’octroyant un plus grand pouvoir sur ses actes (Mendel, 1993). Derrière ces

ambiguïtés d’une pratique, il est possible de pointer une certaine malléabilité,

mettant ainsi l’accent sur la multiplicité des manières de se saisir du coaching.

D’où la formulation de la deuxième proposition :

  1. L’intérêt pour le coaching est lié à l’association de sa spécificité professée

et de sa sous-spécification implicite, créant un flou qui permet de maintenir

des ambiguïtés sur les raisons de sa mobilisation, autorisant alors une

appropriation stratégique du coaching

Dans les trois études réalisées dans cette thèse, cette association de spécificité et

sous-spécificité du coaching se retrouve fortement et contribue à créer des

ambiguïtés sur ce qu’est le coaching et ce qu’il peut apporter.

L’offre marchande professe une pratique spécifique en raison de son ajustement à

la personne, sur-mesure par rapport à des enjeux concrets. Cette spécificité vient

aussi de la mise en avant du processus de formulation de la solution : c’est la

personne elle-même qui est présentée comme en étant à l’origine ; cette solution

peut alors être unique et le reflet de la personne. Pourtant des sous-spécificités

apparaissent : elles sont liées à l’hétérogénéité des destinataires visés par l’offre

(individu, organisation ou les deux), la sphère cible (personnelle et/ou

professionnelle), la multiplicité des objectifs affichés et bénéfices mis en avant qui

sont d’ailleurs partagés par d’autres pratiques d’accompagnement (comme

constituer un espace protégé favorable à une prise de recul). Enfin, la très forte

hétérogénéité des natures professées de l’intervention du coach, impliquant des

degrés faibles à forts de directivité, convoquant différentes figures de clients (de la

personne à une ressource) renvoie à des référents théoriques variés qui ne

contribue pas à la lisibilité de la pratique.

Dans le cabinet de conseil, les spécificités professées sont proches de celles

formulées dans l’offre marchande : pragmatisme d’une aide centrée sur la

personne. L’accent ici est mis sur les spécificité et unicité du coach : les associés

ont choisi un coach précis et apprécient sa personnalité. Souvent ils ont davantage

choisi une personne pour échanger avec elle, que de faire du coaching, dont

certains avouent ne pas savoir ce que c’est précisément. Ainsi, quand ils expriment

leurs difficultés à définir la pratique et à en saisir les frontières, notamment par

rapport à la thérapie, les associés font part de la « nébuleuse » (Paul, 2002) dans

laquelle le coaching s’inscrit.

Il semble que sur le site industriel, l’ambiguïté du coaching ait cristallisé des

intérêts autour de ce que cette pratique mystérieuse, possédant un crédit positif,

pouvait apporter. L’analyse de l’intérêt porté au coaching permet de mettre en

avant une multiplicité de niveaux de commande. A la fois explicite (améliorer le

relationnel, comprendre ce qu’est le coaching, connaître les pratiques d’autres

entreprises à ce sujet) et implicite (remotiver les cadres, faire preuve d’activisme,

avoir une meilleure lisibilité sur les dispositifs d’accompagnement existant), chaque

niveau mobilisait un type particulier d’intervenant (technicien, expert, consultant,

chercheur) sur lequel sont projetées des attentes spécifiques (Guienne-Bossavit,

1994). En particulier, il ressort que l’intérêt qu’une direction manifeste pour le

coaching peut d’une part révéler ses propres besoins d’accompagnement et

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d’autre part détourner de sujets sur lesquels elle ne semble pas vouloir se pencher.

La solution technique du coaching peut apparaître comme un moyen d’économiser

une analyse plus approfondie des changements organisationnels que vit le site.

La multiplicité des raisons qui viennent d’être soulignées soutient l’idée que

le coaching peut réunir les personnes grâce à différents « agendas » dont certains

resteraient cachés. Ils seraient non explicités par leurs protagonistes, voire ignorés

au début ou pendant la durée du coaching.

  1. IMPLICATIONS MANAGERIALES : LES TENSIONS DU DISPOSITIF DE

COACHING

2.1. RECONNAITRE LES DIFFERENTS NIVEAUX DE COMMANDE

La malléabilité du coaching, proposition principale de notre travail, comme

réponse à la modification des règles du jeu organisationnel qui mobilise de plus en

plus la subjectivité, conduit à mettre l’accent sur la multiplicité des intérêts qui

poussent à s’intéresser au coaching. Nous proposons une grille de lecture

synthétisant les intérêts portés par le coaché d’une part et par l’entreprise d’autre

part. A partir des nos trois études, nous organisons ces intérêts autour de deux

axes : visée du coaching (plutôt fonctionnelle ou existentielle) et nature de l’aide

(liée au dispositif ou au contenu du travail avec le coach).

Ainsi un coaché qui porte son attention sur le coaching peut le faire pour

soutenir et développer son employabilité (contenu-visée fonctionnelle), ce recours

sera facilité si l’entreprise met à disposition ce service qui devient alors de plus en

plus naturel car banalisé dans l’entreprise. Le collaborateur profitera alors d’une

offre « standardisée » (dispositif-visée fonctionnelle). Le coaching peut aussi

représenter une opportunité de meilleure conscience de soi (contenu – visée

existentielle) et fait partie des bénéfices personnels que l’individu peut retirer d’une

pratique offerte dans un cadre professionnel. Le coaching devient alors le lieu et

temps pour le développement de soi, que le collaborateur saisi, touché par

l’attention particulière que lui porte alors « son » entreprise ; il l’interprètera comme

le signe de la sollicitude organisationnelle (dispositif-visée existentielle).

Ces mêmes axes peuvent être repris pour identifier les buts poursuivis par

une organisation qui « offre » un coaching à ses collaborateurs.

L’accompagnement que le coach fournit en matière de développement des

compétences du collaborateur en lien avec son travail s’inscrit dans une optique de

« développement » (contenu-visée fonctionnelle). Ce contenu offert par le coach,

s’il se focalise moins sur le travail mais est élargi à une perspective plus globale

intégrant des dimensions existentielles tient lieu davantage de « ressource »

(contenu-visée existentielle) pour le collaborateur qui renouvelle sa manière

d’appréhender sa carrière et sa vie.

En tant que signal d’activation du contrat psychologique, le dispositif de

coaching peut permettre de « fidéliser » (dispositif-visée fonctionnelle) le

collaborateur, rassuré des efforts que son entreprise réalise pour maintenir ses

compétences. Si le travail avec le coach n’est pas forcément axé sur les

dimensions fonctionnelles, le dispositif peut être un moyen de mettre en valeur un

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certain collaborateur, de le distinguer et de le récompenser. Le coaching s’inscrit

alors dans un objectif de reconnaissance (dispositif-visée existentielle).

Figure 2 :

Grille de lecture des intérêts portés au coaching par le coaché et l’entreprise

2.2. DIAGNOSTIQUER LES DIFFERENTS ENJEUX D’UNE DEMANDE DE COACHING

Comme pour toute pratique, le recours au coaching peut s’expliquer par le

fait qu’à un moment donné c’est une mode (Thévenet, 2003). L’intérêt qui lui est

porté est alors davantage mimétique que stratégique. Pourtant, notre travail

souligne l’importance de l’intégration stratégique du coaching à un dispositif

d’accompagnement existant. Ainsi dans le cabinet de conseil, le coaching a été

positionné comme complémentaire par rapport à des formations existantes. Dans

le site industriel, le contrat que nous avons noué avec le site témoignait sans doute

de la volonté de ne pas être influencé aveuglément par une mode, et permettait de

réfléchir à sa véritable utilité. Ainsi, en nous appuyant particulièrement sur cette

étude-là, nous pouvons mettre en lumière quelques questions « critiques » qui

permettent d’éclairer les raisons du recours au coaching :